Tour d’horizon des francophones du paddock : Hervé Poncharal

Cette fois c’est au tour d’Hervé Poncharal, patron du team Red Bull KTM Tech3, de vous compter son parcours.

Comment avez-vous attrapé cette passion des sports mécaniques ?
« Tout petit, j’adorais le vélo, à tel point que ces sorties entre amis se sont vite transformées en affrontements. Il faut dire que j’avais déjà un grand esprit de compétition. Et comme je n'habitais pas très loin de Montlhéry, je suis allé voir mes premières courses moto… à vélo. Le bruit, l'odeur : ce fut comme une révélation. Bien évidemment, je suis ensuite passé du vélo à la mobylette dès mes 14 ans. C’est alors que mon intérêt a grandi. J'ai commencé à acheter des revues, à collectionner les posters de mes idoles, à mettre une selle biplace et un petit guidon sur mon 50cc… C'était le début d'une histoire d'amour, qui n'en finit pas ! Je tiens à préciser que je n’ai jamais été intéressé par le sport automobile. Pourtant, il y avait bien des courses à Montlhéry. »

Décrivez-nous les grandes lignes de votre parcours.
« Je rêvais de rouler à Montlhéry, mais c'était compliqué. En suivant mon copain et voisin Marc Fontan, qui participait à la Coupe Kawasaki, j'ai tout de même pu graviter autour de personnes impliquées dans le milieu. Ça a été le premier déclic. Le deuxième est venu quand je me suis inscrit à une école de pilotage : le Guidon ACO Honda. Je l’ai gagnée ; ce qui m'a permis non seulement de courir, mais aussi de rencontrer le directeur de la compétition chez Honda France, Jean-Louis Guillou. Deux ans plus tard, ce dernier me proposait de devenir son adjoint pour gérer le service compétition qui, à l'époque, était très actif avec des pilotes en vitesse, en cross, en enduro, en rallyes africains, mais aussi et surtout en Championnat du Monde d'endurance. C’est à ses côtés que j’ai quasiment tout appris. »

« En 1989, j'ai décidé de créer la société Tech3 avec Guy Coulon et Bernard Martignac. On partait de rien, mais on avait quand même une Honda 250 NSR d'usine et un des meilleurs français de l'époque, Dominique Sarron. On a ainsi pu figurer d’entrée de jeu au plus haut niveau. Malheureusement on n'a pas gagné parce que Dominique s'est blessé, mais on en avait les moyens ! En 1991, on a acquis le statut de team officiel Suzuki en 250cc ; ce qui nous a permis d'aligner un deuxième pilote, Wilco Zeelenberg. On était devenu une équipe qui comptait vraiment dans la catégorie. »

« Un autre fait marquant, c'est quand j'ai décidé d'engager un très jeune pilote, alors vice-Champion de France, un certain Olivier Jacque. Il était venu me voir à Bormes-les-Mimosas avec son père, car il était un peu perdu. On était au mois de novembre et il n'avait rien pour la saison suivante. Mais je crois aux rencontres et dès le premier contact, j'ai décelé ce côté rebelle, j'ai adoré ! Je l'ai donc fait rouler en 1995, le début d'une incroyable aventure ! Si Tech3 devait être symbolisé par UN pilote, ça serait lui. On a fait quasiment dix années ensemble et on a magnifiquement réussi après avoir décidé de passer chez Yamaha en 1999. On a aussi eu la chance d'avoir une autre pépite, Shinya Nakano. On aurait pu être Champions dès la première année sans quelques petits soucis techniques. Qu’importe ! On y est arrivés la saison suivante, mieux encore on a signé le doublé avec cette fameuse finale de Phillip Island, dont tout le monde se souvient. Ce titre nous a permis de grimper en 500cc, toujours avec Yamaha, et l’emblématique duo Olivier - Shinya. »

« On a ensuite vécu le passage de la 500cc au MotoGP™, avec tout un tas de pilotes incroyables comme Colin Edwards, Cal Crutchlow, Andrea Dovizioso ou Sylvain Guintoli, une très belle personne que je revois toujours avec beaucoup de plaisir. Évidemment, je n'oublie pas la saison 2017 qui a été fabuleuse avec Johann Zarco et Jonas Folger ! On commençait un peu à s'essouffler en tant qu'équipe satellite avec un matériel un peu en-deçà, mais ça nous a véritablement reboosté. Le premier Grand Prix de Johann avec ces six tours menés, sa première pole, son premier podium au Grand Prix de France, sa deuxième place derrière Marc Márquez sur ce même tracé du Mans un an plus tard, la deuxième place de Jonas en Allemagne… tout ça restent de grands moments ! Et le dernier en date, c'est quand j'ai rencontré Pit Beirer et Stefan Pierer, avec qui je n'ai pas eu besoin de beaucoup discuter pour avoir envie de les rejoindre. »

Quels sont les moments les plus difficiles auxquels vous avez dû faire face ?
« Il y a eu plusieurs moments difficiles. En 1993, il y a eu quelques problèmes entre Kocinski et l'usine Suzuki. Il s'est fait mettre à pied en cours de route et en fin de l'année, Suzuki nous annonce qu'ils vont se concentrer sur la 500cc. C'était l'époque où Honda avait sorti son big-bang et il fallait redoubler d’efforts. En 1994, on est donc reparti avec deux motos compétition-clients… Ce fut une année très compliquée. Je pensais sincèrement que ce serait la fin de notre aventure. Mais on avait le mérite d’avoir tenté. Finalement on a eu la chance de rebondir, grâce entre autres à Honda France et Jean-Philippe Ruggia, qui était pilote officiel Aprilia avant de nous rejoindre. »

« Autre moment extrêmement difficile, quand tu perds un pilote et/ou ami. Nobuyuki Wakai avait roulé chez nous, avant de récupérer une Suzuki. En fait, on avait mis notre bâtiment à disposition de toutes les équipes japonaises engagées en 125cc entre 1990 et 1991. C'était leur base en Europe. Autant dire qu’on le connaissait très bien et il s'est tué sous nos yeux, dans la voie des stands à Jerez en percutant une personne. Un incident complètement idiot. C'était un peu notre petit frère, il vivait chez nous. C’est là que tu te demandes si le jeu en vaut bien la chandelle. »

« C'est aussi pour cette raison que je serai toujours très fier d'avoir fait partie de ceux qui ont créé l'IRTA en 1986 avec Mike Trimby et Serge Rosset pour améliorer la sécurité des pilotes. Quoi qu’on en dise, les circuits trop dangereux ont été écartés du calendrier, on a travaillé sur les zones de dégagement, sur les équipements et professionnaliser l'avis du paddock. Parce qu'à l'époque, on n'avait aucun poids ! Saarinen, Pasolini, Patrick Pons, je ne vais pas tous vous les citer, à chaque fois ça a été un choc et des larmes pendant des journées… Mais du jour où Dorna est arrivé, ça a été un accélérateur énorme pour la sécurité : on a trouvé un promoteur qui a compris ce qu'on voulait faire et qui a travaillé main dans la main. Aujourd'hui, même si la moto reste un sport mécanique où le risque zéro n’existe pas, je suis assez heureux et fier de voir la qualité des circuits, leurs infrastructures, les airfences et les équipements obligatoires des pilotes. »

À l’inverse, y a-t-il eu des moments particulièrement forts, au point de vous tirer des larmes de joie ?
« Franchement, j'espère que les meilleurs souvenirs sont à venir, car j'ai toujours envie de vivre ce genre de moments, même si le curseur du plaisir évolue en fonction de votre âge et votre expérience. Mais le premier Grand Prix qu'on a remporté, avec Dominique Sarron au Brésil en 1986, restera à tout jamais gravé dans ma mémoire ! On était alors qu’une petite équipe… Déjà, participer au Championnat du Monde, c'était un truc de malade. Arriver à marquer des points, c'était fou, mais gagner un Grand Prix, à l'époque où les 250 étaient des motos d'usine, c’était juste inimaginable. Après avoir goûté aux victoires, tu as forcément envie d'être Champion. Pour être honnête, cette saison 2000 fut sur le coup assez tendue. Que ça soit Olivier ou Shinya, tous deux pouvaient être titrés et on sentait une certaine division au sein du team. En tant que patron, ce n’était pas facile à gérer. Je savais que la course allait faire un déçu et que le moindre faux-pas pouvait profiter à Dajiro Kato. Quand Olivier a gagné, on a littéralement sauté de joie, mais j’ai immédiatement songé à Shinya. Ce fut une étape très importante aussi bien pour Tech3 que pour Olivier. »

Quel bilan dressez-vous de cette saison 2019 ?
« Évidemment, c'est moins excitant d'être en bas de la feuille des temps qu'en haut, mais je savais parfaitement quand j'ai signé, qu'on n’aurait pas les mêmes résultats avec KTM qu'avec Yamaha dès la première année ! Par contre, on s'est engagé sur un programme de trois ans, avec pour mission de réduire l’écart qui nous sépare des meilleures machines. Et je peux vous dire que je mesure d’ores et déjà le chemin parcouru. On a été officiel Honda, on a été officiel Suzuki, on a été officiel Yamaha, et je n'ai franchement jamais vu un développement aussi rapide, avec autant de nouveautés en si peu de temps ! C'est quelque chose qui me booste. Alors oui, je suis heureux de faire partie de ce programme. Certes, il y a eu des moments difficiles. Pour commencer, la blessure de Miguel Oliveira a sérieusement compromis notre deuxième partie de saison. Et puis quand j'ai vu la tournure que prenait l’aventure Johann Zarco – KTM, ça m'a fait de la peine pour les deux. J'étais persuadé que ça allait fonctionner, mais ça n'a pas été le cas… Il a donc fallu se réorganiser. Brad Binder, qui avait initialement signé avec nous, a été choisi pour le remplacer. Du coup j’ai demandé à KTM de pouvoir avoir Iker Lecuona et ils ont joué le jeu. D’ailleurs un grand merci à eux. »

« Au final, quand je vois les prototypes 2020, qu’ont eu l’occasion d’étrenner Pol Espargaró et Dani Pedrosa, la line-up globale, je suis excité à l’idée d’y être. Je suis très heureux de poursuivre avec Miguel Oliveira, une pilote incroyablement intelligent, simple, performant et avec qui on échange beaucoup. »

« Je suis tout aussi enthousiaste qu’Iker Lecuona nous rejoigne, un garçon plein d’ambitions à dompter. Nul doute, des moments forts nous attendent et probablement quelques déceptions aussi, ça fait partie de l’apprentissage. Mais s’il y a bien une chose que j’adore dans ce sport, c’est le fait de travailler avec des jeunes qui sont ouverts et motivés. On a Iker Lecuona aux côtés de Miguel Oliveira en MotoGP™, mais aussi le duo Deniz Öncü (16 ans) - Ayumu Sasaki (19 ans) en Moto3™ et deux pilotes de 19 ans en MotoE™. Avec eux, j'ai envie de créer un groupe, un peu à l'image de ce qu'a fait Red Bull KTM avec la Performance Camp du 2 au 6 décembre dernier en Autriche : tous leurs pilotes ont appris à se connaître, tout en rencontrant les docteurs, les entraîneurs, les nutritionnistes, ainsi que les psychologues du sport. Ils ont aussi été au marché de Noël à Salzbourg, ils ont mangé ensemble… bref ils ont baigné dans un véritable team spirit ; une superbe initiative que je voudrais reproduire à l’échelle de mon team. C’est comme ça que KTM peut y arriver en MotoGP™ : en prenant des jeunes, qui n’ont pas connu d’autres motos au préalable, qui ne vont pas chercher à essayer de dupliquer un feeling qu'ils ont eu sur telle autre machine. Iker Lecuona, Brad Binder, Miguel Oliveira… Tous sont de purs produits KTM ! »

Quelles sont les perspectives pour 2020 ?
« Tout ce qu'on peut dire, c'est que la grille MotoGP™ est plus compétitive que jamais. On se bat à coups de centièmes, parfois de millièmes. Donner une position est compliqué car un jour on peut finir cinquième s'il y a eu un gros crash devant, sans que ce soit significatif. Ce qui compte surtout, c'est qu'on réduise l'écart. Il faudrait que l'on soit toujours entre cinq et 15 secondes du vainqueur, même si ça ne sera pas évident, car tout le monde va progresser. L’objectif avec Iker Lecuona est tout de même d’être Rookie of the Year. Sur le papier, il a moins d’expérience qu’un Alex Márquez ou un Brad Binder qui ont déjà été Champions du Monde, mais on a vu ce dont Fabio Quartararo fut capable cette année ! Personne ne l’attendait à un tel niveau. Alors certes Iker n'est pas Fabio et la RC16 n'est pas la M1, mais j’aimerais qu’Iker contribue à faire avancer KTM comme Fabio l’a fait avec Yamaha… et j’y crois ! »