Tour d’horizon des francophones du paddock : Michel Turco

Voici presque 30 ans que ce journaliste sillonne le paddock du Championnat du Monde.

Comment avez-vous attrapé cette passion des sports mécaniques ?
« Je suis né à Toulon et en 1975, mon parrain m'a emmené au circuit Paul Ricard pour voir mon premier Grand Prix. Ce week-end-là, Johnny Cecotto triomphe. Aujourd’hui encore, je me rappelle de l'odeur de huile de ricin et les images sont restées intactes dans ma mémoire. Ces premières émotions ont fait que la passion s'est construite, jusqu'à la course suivante : le Bol d'Or de 1979. Cette fois, j'y monte avec des copains pour voir Pons-Asami sur la Yamaha OW31 et Leon-Chemarin sur la Honda. J'en prends littéralement plein les yeux ! J'ai alors 14 ans, mon 103 Peugeot et je me débrouille pour me procurer Moto Revue et Moto Journal tous les jeudis. Je suis les courses à fond, je veux même devenir pilote ! En attendant, on bricole les mobs dans le garage ».

Décrivez-nous les grandes lignes de votre parcours.
« J’intègre l’École Normale d'Instituteurs en 1984 puis, grâce à mon salaire, je me lance dans la Coupe Yamaha avec mon voisin de l’époque, Jean-Philippe Ruggia. En 1986, je fais un peu de Championnat de France sans trop de moyens et sans trop de résultats. Je comprends que ce n'est pas peine de continuer, car je n'y arriverai pas. Mais pour rester dans ce milieu, j'envoie un courrier à Bruno Gillet, journaliste chez Moto Journal. Je deviens alors une sorte de correspondant local en faisant des piges pour eux : je couvre le Bol d'Or en 1987, puis le Championnat de France et quelques séances d'essais au Paul Ricard. En 1990, il y a eu pas mal de changements à Moto Journal… Le rédacteur en chef, Reynald Lecerf, part à Moto Revue et m'appelle durant l'été pour me proposer de faire les Grands Prix avec Patrick Curtet comme photographe. Je me mets donc en disponibilité par rapport à mon métier d'instituteur et c'est parti, principalement pour les éditions Larivière, mais aussi avec quelques collaborations extérieures, presse quotidienne pour L’Equipe, en TV pour Eurosport - j’y ai assuré le rôle de pit-reporter durant plusieurs saisons - et, aujourd'hui avec Eurosport Events en post-production sur le Championnat du Monde d’Endurance. J’ai aussi écrit plusieurs livres comme des biographies de Valentino Rossi, ou encore le Livre d’Or de la moto qui résume la saison écoulée. ».

Quels sont les moments les plus difficiles auxquels vous avez dû faire face ?
« Il y a toujours de bons et de mauvais souvenirs, les saisons sont plus ou moins excitantes et c'est parfois pesant d'être sans cesse en déplacement, mais franchement, il n'y a eu aucun moment où j'ai eu envie d'arrêter. Forcément, quand un pilote se tue, c'est toujours extrêmement dur, surtout si tu as de bonnes relations avec lui. Pour Marco Simoncelli, j'ai vécu ça en Direct car j'étais au micro HF à ce moment-là : je pleurais devant le centre médical, je n'oublierai jamais. Daijiro Kato, je le connaissais moins, Shoya Tomizawa très peu, donc c'était différent. Mais je me souviens de Nobuyuki Wakai en 1993. Il était à l'époque avec toute la bande des Japonais chez Tech3, autant dire qu’on se voyait régulièrement. En plus, ça s'est passé sous mes yeux, alors que j'étais en salle de presse à Jerez… Et puis il y a eu l’accident de Wayne Rainey qui m’a marqué à jamais. C’était le premier grand Champion que j’avais interviewé en décembre 1990, au ranch de Kenny Roberts à Modesto. Quand tu as la chance de côtoyer ces mecs, et que du jour au lendemain il y en a un qui se blesse gravement ou qui perd la vie, c'est forcément des moments où tu te demandes ce que tu fais là. Mais avec le temps, la passion reprend le dessus. »

À l’inverse, y a-t-il eu des moments particulièrement forts, au point de vous tirer des larmes de joie ?
« Des larmes de joie peut-être pas, mais des souvenirs merveilleux, oui : Les victoires de Jean-Philippe Ruggia avec l’Aprilia en 1993, le titre d'Olivier Jacque. Je me souviens de ses débuts en 1995, quand il arrive avec la RS Kit en Australie. Là, tu te dis que tu vas vivre un truc fort ! Et ce qu'a fait Fabio Quartararo cette année, c'était magique… Tout comme les débuts de Johann Zarco en MotoGP™ d’ailleurs ! En ce qui me concerne, malgré l'usure du temps que je peux parfois ressentir, je me dis que j'ai la chance de vivre tout ça. On ne peut pas parler de renouveau car si tu enlèves ces deux mecs, il n'y a personne derrière, mais on n'a jamais eu un pilote avec autant de talent que Fabio ! Quand Johann a cassé la baraque dès son arrivée, c'était génial aussi ! Ce sont de vrais moments forts. Après, sur un plan plus personnel, se lier d’amitié avec ceux qui m'ont fait rêver à mes débuts, est un privilège. Quand je suis arrivé, j'avais 26 ans. Les stars de l’époque tel que Mick Doohan, Wayne Rainey ou encore Kevin Schwantz n’étaient pas faciles à approcher, d’autant plus que mon anglais était très médiocre. Les relations étaient compliquées, ils t'envoyaient vite te balader. Mais avec le temps, on est devenu potes et parfois, je vais même chez eux. Être devenu plus proche de ces gens-là, c'est une chance, une sorte de satisfaction personnelle. »

Quel bilan dressez-vous de cette saison 2019 ?
« Sur le plan personnel, en tant que journaliste, on a la chance de vivre dans une salle de presse où il y a une bonne ambiance. Je ne connais pas les autres sports, mais quand d’autres journalistes viennent ici, ils sont surpris de la fraternité qui règne chez nous. On s'échange souvent des infos entre collègues de différentes nationalités, même si, forcément, il y a toujours une petite rivalité entre ceux qui veulent une exclusivité. Mais globalement, tout le monde s'aide et c'est plutôt sympa : ça participe aussi à l'envie de continuer ! Sur le plan professionnel, je déplore forcément que Moto Revue soit passé mensuel. Aujourd'hui, l’avenir n’est pas très clair, car on est aussi dans une époque où le métier évolue, avec des supports qui ont un peu du mal à trouver leur place. Ça c'est le côté négatif de ce que notre boulot est aujourd'hui. »

Quelles sont les perspectives pour 2020 ?
« Déjà, on espère continuer à être là (rires). Au niveau sportif, on croise les doigts pour que Fabio se batte pour le titre et que Johann refasse surface. On aimerait bien que Marc Márquez laisse un peu plus de place aux autres. »