Tour d’horizon des francophones du paddock : Alain Bronec

Alain Bronec vous retrace son parcours, tout en évoquant son actualité en tant que Team Manager du CIP – Green Power.

Comment avez-vous attrapé cette passion des sports mécaniques ?
« Je suis originaire d’Auvergne et dans les années 1970-1975, il y avait une importante culture moto. J’ai donc démarré les courses de côte avec un club du coin et la Coupe Aspes en 1981. Pour ce faire, plusieurs amis m’avaient aidé à acheter une 125 Aspes. J’avais un travail et je reconnais que c’est un peu tardif comme début, mais en France, à l’époque, on commençait la compétition seulement quand on était autonome financièrement. »

Décrivez-nous les grandes lignes de votre parcours.
« J’ai gagné la Coupe Aspes en 1982 et je me suis payé une TZ d’occasion. J’ai ensuite effectué un bref passage par le Championnat de France 250cc, avant de me lancer en Championnat du Monde conjointement au Championnat d’Europe. À l’époque, il y avait un plateau fixe avec les Tops pilotes et les autres, qui se déplaçaient en caravane sur certaines courses, comme moi. On faisait ce qu’on pouvait, en fonction des budgets, donc forcément on n’allait pas sur celles en Outre-Mer. Ça a duré quelques années, en 250cc et en 125cc… Puis finances obligent, je me suis concentré sur le Championnat d’Europe jusqu’en 1995 et j’ai enchaîné sur de l’endurance. J’ai fait un podium aux 24h de Spa. C’était un peu compliqué car je n’avais pas le gabarit, mais c'était assez intéressant. Dans la foulée, j’ai passé un Brevet d’État mis en place par la Fédération ; ce qui m’a permis de commencer à travailler en tant qu’entraîneur sur des courses, aujourd’hui appelées 25 Power. Ma reconversion a commencé à ce moment-là. Courant 2002, j’ai ainsi créé la société CIP, avec une structure basée au Pôle Mécanique d’Ales, qui accueille aussi une piste de vitesse. Comme Mike Di Meglio réalisait de bonnes performances, on s’est dits qu’on pouvait l’emmener en Championnat du Monde. En 2003, il a donc effectué sa première année dans un team 125cc et c’est lui qu’on a désigné trois ans plus tard, lorsque la Fédération a voulu monter sa structure. Entre temps, on avait aussi aidé à faire progresser Alexis Masbou en l’accompagnant dans son équipe. En 2007, on a justement eu Alexis Masbou, en 2008 Louis Rossi… C’est alors que la Fédération a décidé d’arrêter son projet. Dans la mesure où j’avais investi dans tout le matériel, je l’ai gardé et j’ai continué l’aventure. Shoya Tomizawa, je l’ai rencontré au Japon. On a parlé et en 2009 il est venu rouler sur des 250cc. L’objectif était surtout qu’il apprenne les circuits, parce qu’on savait que le Moto2™ allait arriver et on connaissait son potentiel. Valentin Debise était notre second représentant, mais ça fut une année assez compliquée. Les Honda n’étaient pas très performantes, malgré le soutien qu’ils nous apportaient. Heureusement pour nous, la roue a tourné début 2010 avec cette victoire de Shoya au Qatar. Après quoi, on a eu Kenan Sofuoglu. D’ailleurs je l’ai croisé il y a peu, vu qu’il s’occupe aujourd’hui des frères Öncü. En 2012, on était encore présents en Moto2™, mais parallèlement on a choisi d’aligner Alan Techer et Kenta Fuji dans la toute nouvelle catégorie Moto3™ sur des Honda. Alan a plutôt bien roulé, ceci étant les performances n’étaient pas vraiment au rendez-vous. Finalement, on a arrêté le Moto2™ pour se concentrer exclusivement sur le Moto3™ avec Alan Techer et Juanfran Guevara. Ensuite, on a poursuivi avec d’autres marques : Mahindra, puis KTM quand Mahindra s’est retiré. En 2020, nos pilotes officieront toujours au guidon de motos autrichiennes. »

Quels sont les moments les plus difficiles auxquels vous avez dû faire face ?
« Sans aucun doute, 2010. Le décès de Shoya fut le moment le plus dramatique de ma carrière de team manager. Nous étions très proches car il habitait chez moi. La blessure n'est pas refermée et ne le sera sans doute jamais. Nous commémorons chaque année sa disparition lors du Grand Prix à Misano, avec tous ceux qui ont été dévastés, dont sa maman. »

À l’inverse, y a-t-il eu des moments particulièrement forts, au point de vous tirer des larmes de joie ?
« Le meilleur moment, ça a été la victoire de Shoya en 2010 parce que personne ne nous attendait. Nous, on savait qu’il avait un potentiel exceptionnel, c’était une course fantastique. Et puis des premières lignes, des poles comme à Jerez, qui restent de mémorables souvenirs.»

Quel bilan dressez-vous de cette saison 2019 ?
« En 2018, on avait inscrit deux podiums et quatre première lignes avec John McPhee. On avait vraiment bien performé, sachant qu’il était davantage habitué aux Honda. Cette saison a en quelque sorte relancé sa carrière car dans la foulée, il signait chez Petronas. Ça fait vraiment plaisir à voir. Pour lui succéder, on a donc recruté Darryn Binder qui venait lui aussi d’une année compliquée. En 2019, on a pu voir son potentiel exceptionnel, mais c’est un garçon qui est difficile à cadrer. On a eu des hauts et des bas, avec pas mal de chutes en course. Néanmoins, il ne nous a pas déçus. La bonne nouvelle, c’est qu’on continue avec lui pour une deuxième saison. Or cela ne nous arrive pas souvent pour des raisons de budget. »

Darryn Binder, CIP Green Power, Gran Premio Motul de la República Argentina

Quelles sont les perspectives pour 2020 ?
« Notre objectif pour 2020, c’est que Darryn reste au même niveau, mais qu’il soit un petit peu mieux classé en qualifications, car là est le véritable problème. Contrairement aux autres, il va davantage taper dans ses pneus, alors qu’on a bien vu sa facilité à doubler les autres pilotes. On ne peut pas se permettre de partir au-delà de la quatrième ligne. C’est un point qu’on va travailler avec lui cet hiver, pour lui faire prendre conscience de tout ça. À ses côtés, on aura un pilote beaucoup plus jeune nommé Maximilian Köfler. Il a montré un certain potentiel en Championnat du Monde Junior FIM Moto3™ et c’est un vrai travailleur. Je pense qu’on va pouvoir faire des choses intéressantes ensemble. Avant toute chose il s’agira de figurer parmi les 20 premiers sur la grille et d’apprendre en course. On travaille également avec la FFM. En 2019, on avait deux pilotes en European Talent Cup et on en aura de nouveau deux en 2020. C’est une catégorie intéressante car il y a au total une soixantaine de pilotes, répartis en deux séries, avec des motos toutes identiques. En d’autres termes, il faut vraiment performer pour faire la course. J’ai également signé avec un pilote japonais en Championnat du Monde Junior FIM Moto3™, Hikaru Arita. Il roulait dans le team de Paolo Simoncelli en 2019. Il va venir habiter à Alès, chez moi, comme Shoya [Tomizawa] et Tatsuki [Suzuki] l’avaient fait. On reproduit le même schéma. Après tout ça avait bien fonctionné avec Tatsuki, totalement inconnu lorsque je l’ai recruté. Depuis, on a pu voir son évolution, ce qui nous rend très fiers. Même chose pour Remy Gardner, qui a commencé les Grands Prix avec nous. Notre objectif est donc aussi de former les pilotes, d’essayer de comprendre ce dont ils ont besoin et de leur expliquer que, parfois sur la moto, ils ont plus d’importance qu’ils ne le pensent, qu’en gros ce ne sont pas toujours les réglages qui font la différence ! En bougeant leur corps, ou en se servant correctement des freins, ils peuvent arriver à tirer le meilleur de leur moto et performer. »