Poncharal : « Courir, c’est notre métier, notre passion »

Président de l’IRTA et Team Manager, Hervé Poncharal revient sur la situation actuelle et sur les pistes d’une reprise du MotoGP™.

Comment avez-vous vécu cette situation exceptionnelle jusqu’à présent ?
« C’est une situation exceptionnelle. Personne n’était préparé à vivre ce genre de choses. D’autant plus que ça nous est tombé dessus de manière totalement inattendue. Au Qatar, nous étions en compagnie notamment de Carmelo Ezpeleta ou encore de Jorge Viegas, nous regardions ce qui se passait. Tout le monde pensait que ça allait durer quelques semaines… Et à notre retour du Qatar, tout s’est accéléré. Ce que nous avions observé en Chine est arrivé chez nous en l’espace de quelques semaines. Ça a été dur pour tout le monde, car l’essence même de notre activité, c’est de bouger : on rentre d’une course, on défait notre sac, on fait quelques trucs et puis on repart sur une autre épreuve. Même l’hiver est chargé, entre les sponsors, les négociations, les pilotes ou encore la préparation de la saison à venir. On ne s’arrête jamais ! Alors le fait de se retrouver comme ça, entre quatre murs, sans aucun point de départ, oui c’est difficile. Nous savons que ce ne sera pas évident de retrouver une vie « normale », en raison de notre activité très spécifique basée sur les déplacements - surtout par avion, avec qui plus est toutes les nationalités recensées au sein du paddock et la multitude de frontières à franchir. Quoi que tu puisses imaginer pour trouver des solutions, aujourd’hui nous n’avons pas toutes les cartes en main. Notre moteur est bien réglé, je dirais même qu’il fonctionne parfaitement, mais la chaîne est cassée et tu n’avances pas, il n’y a plus de mouvements. Quoi que nous fassions, nous sommes dépendants de l’évolution de l’épidémie et des décisions prises par les autorités. »

Il semble qu’un climat d’optimisme règne depuis quelques jours au sujet de la reprise du Championnat du Monde ?
« Il y a une dizaine de jours, si tu m’avais demandé si nous allions courir en juillet, je t’aurais répondu que tu étais un doux rêveur. Aujourd’hui, même si rien n’est effectivement acquis, c’est quelque chose qui ne relève plus de l’impossible. Nous avons étudié différents scénarios, même celui d’une saison blanche, que nous avions toujours vu comme quelque chose d’inimaginable. Au pic de l’épidémie, nous y avons certes pensé, sans jamais le nommer… Et puis, comme bien souvent, quand tu touches un peu le fond, tu rebondis. Loin de moi l’idée de faire du triomphalisme exagéré, mais aujourd’hui, on voit que le confinement a porté ses fruits, bien que la situation soit encore loin d’être claire. On voit que les gens sont plus constructifs, plus sereins, et font beaucoup plus attention. Nous avions déjà mis en place les gestes barrières dès le Qatar, avec du gel hydroalcoolique dans le box du Moto3™. Maintenant, les gens vont observer les distances de sécurité et le masque, même s’il n’est pas obligatoire, va être porté de manière de plus en plus spontanée. Si tous les pays parviennent à sortir de ce confinement graduellement et de manière assez intelligente, nous pensons pouvoir disputer des courses très bientôt. »

Quel est donc le scénario envisagé à ce jour au sujet du calendrier ?
« L’objectif de juillet ou août semble de plus en plus envisageable, même si à ce jour, rien n’est signé et acquis. Dorna Sports, la FIM, la MSMA et l’IRTA dont je suis le Président, forment un groupe uni, c’est justement la force de notre sport. Nous échangeons en permanence. Carmelo Ezpeleta prend les décisions, mais il nous consulte toujours et nous écoute. S’il y a des idées qui peuvent faire avancer les choses, il en tient compte. Face à cette situation sanitaire, nous avons très vite compris que ça serait très probablement compliqué d’avoir des courses avec des spectateurs en 2020. Le huis clos s’est donc rapidement imposé comme une condition sine qua non pour pouvoir discuter avec les pays et les organisateurs, c’est totalement logique. Bien sûr, nous n’aimons pas ça. Les fans, le public, les supporters sont la base de notre sport. Mais entre pas de courses du tout et des courses sans spectateurs… Quitte à choisir, autant prendre la deuxième option. C’est notre métier, notre passion. Il faut tout faire pour qu’il y ait des courses, pour les fans, les teams, les pilotes ou encore les télés. Si c’est possible avec un effectif réduit, alors nous ferons en sorte de respecter cette condition. Aussi, lorsque ça sera possible, nous essaierons de disputer deux Grands Prix sur un même circuit. Nous pouvons très bien rester sur un circuit le temps deux week-ends. »

Le paddock sera donc différent de celui que nous avons l’habitude de connaître ?
« Je crois qu’un paddock en Europe comprend entre 2500 et 3000 personnes en temps normal. Pour les épreuves à huis clos, il s’agirait de tourner plutôt autour de 1100 / 1300 personnes. Nous travaillons tous ensemble : Dorna va réduire son staff présent sur les circuits, tout comme les équipes, les partenaires techniques (casques, cuir, pneus, carburant…). De même, s’il n’y a pas d’hospitalities, il faut nourrir tout le monde tout en respectant les mesures barrières. Nous avons donc songé à un protocole qui est quasiment terminé et agréé par toutes les parties. »

Concrètement, comment faire pour éviter la propagation du virus ?
« L’idée sera de tester tout le monde avant de partir et de mettre en place une sorte de confinement sur le circuit. Puisque le paddock sera moins chargé, nous donnerons la possibilité aux pilotes, pas seulement MotoGP™, de dormir sur place avec des motorhomes. Nous essaierons aussi de trouver des solutions pour que les hôtels les plus proches puissent être réservés pour le personnel du paddock. Il s’agira d’éviter les contacts avec la population locale et toute contamination. Nous essaierons de canaliser au maximum les entrées et les sorties et de restreindre au maximum le rayon des déplacements au sein même du paddock. Dans tous les cas, la Dorna, comme tous les autres promoteurs sportifs, tient à respecter à lettre toutes les mesures sanitaires pour éviter la propagation de ce virus. »

Un effectif réduit dans le paddock, cela signifie-t-il l’absence de médias ?
« Il faut bien garder à l’esprit que notre sport existe qu’en raison de certaines règles très simples. Nous avons besoin d’une moto avec une équipe technique et d’un pilote le plus rapide possible. Pour obtenir tout ça, il nous faut des partenaires. Si les sponsors investissent, c’est parce qu’ils savent qu’il y aura des retombées médiatiques derrière. Nous sommes tous liés : nous avons besoin des médias, comme les médias ont besoin de nous. C’est une évidence. Mais aujourd’hui, nous vivons une situation exceptionnelle, et si nous voulons qu’il y ait des courses, un des aspects qui fait qu’on nous dira « oui » ou « non », c’est le nombre de personnes présentes. Il faut quasiment diviser par trois. Nous avons déjà demandé aux équipes de réduire leur staff au maximum. Malheureusement, il faut faire des choix et on arrive très vite à plus de 1000 personnes. De même, si nous autorisons quelques journalistes, qui tranchera ? Il peut y avoir des gens mécontents de ne pas avoir été choisis… Je souhaite toutefois que les équipes puissent garder leur attaché de presse à disposition des médias. Ce n’est pas à moi que revient cette décision, mais si d’aventure les journalistes ne peuvent pas venir, notre job sera de leur fournir un maximum de contenus. De même, entre deux GP sur un même circuit, on pourrait très bien imaginer leur proposer des sujets avec des ingénieurs, des pilotes ou des acteurs du MotoGP™. C’est une situation qui me chagrinerait beaucoup, mais il faut se dire que c’est temporaire. »

Quel est le rôle de l’IRTA durant cette crise ?
« Le rôle de l’IRTA est de travailler conjointement avec Dorna et de gérer le paddock. Nous sommes très proches. Le budget de l’IRTA réside toutefois dans les souscriptions des équipes. Depuis sa création en 1986, l’IRTA a entretenu un fonds de roulement que nous avons divisé par le nombre d’équipes pour redistribuer cet argent, car encore une fois, une situation exceptionnelle exige des mesures exceptionnelles. Malheureusement, nous pouvons le faire qu’une fois… Carmelo Ezpeleta fait tout pour aider les équipes et n’hésite pas à monter au front. Tous ensemble, nous essayons de faire en sorte que tout le monde puisse repartir lorsque la saison reprendra. Il faudra bien travailler cette année et la saison suivante pour préparer la nouvelle donne sportive et économique. Nous avons gelé le développement dans chaque catégorie. Il faut bien réfléchir à la suite, voir ce que les constructeurs seront prêts à investir. Mais aujourd’hui, il faut travailler pour garder ce show, notre proximité avec le public et rester disponible, tout en gérant bien les coûts. »

Comment voyez-vous l’avenir du MotoGP™ ?
« Depuis que l’humanité existe, celle-ci a vécu beaucoup d’épreuves. Et on a souvent entendu par le passé « après une crise comme celle-ci, plus rien ne sera comme avant ». Aujourd’hui, c’est l’offre et la demande qui régit l’économie. Le MotoGP™ fait partie de la société et je pense, sans rentrer dans des considérations philosophiques, qu’à la sortie de cette crise, la mobilité sera toujours autant d’actualité. Pour moi, le secteur du deux-roues en sortira renforcé. J’espère que beaucoup de gens redécouvriront ce véhicule et si nous pouvons être les ambassadeurs de cette industrie, alors nous le ferons avec grand plaisir. J’en ai aussi discuté avec Pit Beirer récemment. Il me disait qu’ils avaient été bluffés par les ventes faites à la suite du déconfinement. Il y a beaucoup de gens qui voient la moto comme une solution qui permettrait de respecter les mesures barrières tout en ayant la possibilité de bouger. Et puis, c’est toujours un grand plaisir de se déplacer à deux-roues ! »

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